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Romy Schneider, une étoile de Bavière...
28 mars 2008

Sa dernière interview

Sa dernière interview était pour Paris Match. Romy n'en avait accordées que six dans toute sa carrière. Elle avait choisi Michel Drucker pour lui donner la réplique, car il savait la mettre en confiance. C'était dix mois après la mort tragique de son fils David, au moment de la sortie de son film "La Passante du Sans-Souci".

- MICHEL DRUCKER : J'ai partagé votre chagrin il y a dix mois, lorsque votre enfant David est mort tragiquement. A votre place, je me demande si j'aurai pu continuer ce métier. Est-ce parce que, comme disent les américains "The show must go on" (" Le spectacle doit continuer") que vous avez accepté de tourner avec Jacques Rouffio ?
- ROMY SCHNEIDER : Je préfère dire "Life must go on" ("La vie doit continuer"). Bien sûr, il y a des moments où l'on a envie de baisser le rideau et de ne plus rien avoir à faire avec ce métier. Mais j'ai des responsabilités. Je ne suis pas seule. Donc, la vie "must go on". Je poursuivrai de mon mieux mon travail. Il faut avancer car on ne peut s'arrêter. On peut fléchir un moment mais il faut continuer. S'arrêter, pour moi, ce n'est pas possible.

- MICHEL DRUCKER : Lorsque l'on vit un drame tel que le vôtre et qu'on est un personnage public, la disparition d'un enfant ne peut demeurer secrète. Ce chagrin est livré à des millions de gens qui vont au cinéma et s'attachent depuis des années à une comédienne. Comment réagit-on dans cette épreuve?
- ROMY SCHNEIDER : La révolte reste contre le malheur et elle restera toute la vie. Que le public s'y intéresse charitablement n'adoucit pas la peine.

- MICHEL DRUCKER : Dans quel état d'esprit une comédienne tourne-t-elle un film où elle est confrontée à des personnages qui lui rappellent son chagrin ? Dans "La Passante du Sans-Souci", il y a un petit garçon, Max, et quelques scènes qui m'ont touché. Je me suis demandé comment vous avez pu tourner alors que le drame était proche de votre réalité. Cela a-t-il été plus pénible que tout ce que vous aviez interprété auparavant? Est-ce vous qui avez appelé Rouffio pour lui dire "on y va"?
- ROMY SCHNEIDER : Le film a été reporté pour raison de santé puisque j'avais été opérée. Mais j'étais prête à tourner dès l'autorisation de mon médecin. Peut-être étais-je encore fatiguée mais le travail me procure beaucoup de force physique et morale. Quant aux scènes pénibles entre moi et le petit Max, j'ai été considérablement aidée par Rouffio.

- MICHEL DRUCKER : Le sujet était peut-être ardu ?
- ROMY SCHNEIDER : J'ai toujours voulu jouer cette "Passante du Sans-Souci". Pour une comédienne, il y a le travail et il y a la vie. On ne confond rien. Chez moi, il y a une force -je ne sais d'où elle vient- mais elle existe. Je savais qu'il y aurait des moments douloureux, non seulement à cause de certaines séquences, mais parce que mon métier est un métier dur. Mes véritables amis, ceux en qui je peux avoir confiance, m'ont toujours dit: "Le mieux pour toi, c'est que tu puisses travailler". Même Simone Signoret m'a téléphoné pour me le conseiller. Non pas que je veuille travailler comme avant lorsque je tournais trois films par an au détriment de ma vie privée. Cela, je ne le veux plus mais j'ai besoin de cette peur qui m'envahit sur le plateau. Elle est stimulante. On se jette sur le travail parce qu'il faut le faire et il permet aussi d'oublier un peu.

- MICHEL DRUCKER : N'y a-t-il pas, outre Rhin, une sorte de jalousie à l'égard d'une actrice de langue allemande qui est partie en France ?
- ROMY SCHNEIDER : Je le pense. Mais ce n'est pas parce que j'ai interprété trois "Sissi" que je leur appartiens. J'ai choisi un pays qui m'a reçue à bras ouverts il y très longtemps et qui m'a fait connaître bien des bonheurs.

- MICHEL DRUCKER : Votre famille aurait peut-être souhaité que vous restiez, comme votre mère ?
- ROMY SCHNEIDER : Sans doute. Maman a tourné plus de 60 films et quelques pièces avant de prendre sa retraite. Quant à ma grand-mère paternelle, elle a continué jusqu'à 80 ans. Je ne souhaite pas travailler autant qu'elle, ni vivre jusqu'à 105 ans comme elle !

- MICHEL DRUCKER : Je voudrais qu'on parle du film de Rouffio. A quel moment avez-vous lu le livre de Kessel ?
- ROMY SCHNEIDER : Il y a très longtemps. J'ai peu la mémoire des dates. En tout cas, bien avant le tournage de "Une histoire simple". Or, c'est pendant les prises de vues de ce film que Madeleine Robinson est venue me parler de ce livre dans ma roulotte. Elle m'a dit : "La passante du sans-souci serait un rôle magnifique pour vous. Moi, je suis trop âgée pour l'interpréter." Je connaissais le livre. L'idée m'a trotté dans la tête. Quand j'ai lu le roman la première fois, cela ne m'a pas paru évident qu'on puisse le tourner. Mais le sujet ne m'a jamais quittée. C'est comme certaines choses de la vie qui ne me quitteront jamais...

- MICHEL DRUCKER : Il est bon de préciser que l'action de "La passante du sans-souci" se situe dans l'Allemagne nazie et dans les années 80. Le héros, Max Doudsden, responsable d'un mouvement de solidarité internationale, un homme âgé d'une cinquantaine d'années, devient un assassin lorsqu'il découvre que l'ambassadeur du Paraguay est en réalité un ancien tortionnaire nazi qui, 40 ans auparavant, avait envoyé le père de Max en déportation; cependant que les S.A faisaient de l'enfant un orphelin et un infirme. Elsa Wiener, la femme d'un éditeur déporté, rencontre et prend en charge le petit garçon à Paris. Cette histoire, l'une des plus tristes de notre époque, a sans doute beaucoup pesé sur votre sensibilité. Lorsque vous évoquez des raisons personnelles, vous pensez à cela, je suppose?
- ROMY SCHNEIDER : Bien entendu. Comme tant d'autres, le père de mon fils avait été déporté lorsqu'il avait 19 ans. Ce sont des faits qui ne s'oublient pas.

- MICHEL DRUCKER : Vous êtes née en 1938 à Vienne. Quel souvenir gardez-vous de cette époque?
- ROMY SCHNEIDER : Très peu. J'étais une enfant. Mon père et ma mère se sont séparés lorsque nous étions petits. Nous n'étions pas directement concernés. Je me souviens avoir vu pleurer maman à Nöêl parce qu'elle était seule avec nous. Mais le film s'adapte également au temps d'aujourd'hui si l'on pense à la Pologne et au monde qui tourne plutôt mal.

- MICHEL DRUCKER : Elsa Wiener a beaucoup de points communs avec vous. Sans doute est-ce l'une des raisons pour laquelle vous avez été touchée par le personnage de cette femme? Mariée à un éditeur déporté, elle fuit l'Allemagne et se réfugie à Paris où elle pend en charge le petit garçon. Cette allemande fuit en France pour sauver sa vie. Elle va attendre pendant de longues années la libération de son mari. Pour l'obtenir, enfin, elle ira jusqu'à se sacrifier. Elle se donnera au tortionnaire qui sera abattu plus tard par Max. A ma connaissance, c'est la première fois que vous tournez un film politique. L'avez-vous accepté pour exprimer votre façon de penser ?
- ROMY SCHNEIDER : Oui. Toute l'équipe a eu un coup de passion pour ce film. C'était formidable, l'entente sur le plateau de tournage. Ce n'est pas toujours le cas.


Avril 1982: sa dernière interview avec Michel Drucker, diffusée à la télé.

- MICHEL DRUCKER : Adolescente, vous souvenez-vous avoir connu des gens qui souffraient de l'antisémitisme ?
- ROMY SCHNEIDER : Non. Je n'étais pas adulte, je n'avais pas assez réfléchi, je n'avais pas compris. Mais, depuis, il y a eu des événements qui m'ont touchée et révélé que rien n'a vraiment changé.
- MICHEL DRUCKER : C'est un sujet grave encore de nos jours. En aviez-vous parlé avec David ?
- ROMY SCHNEIDER : David avait lu le scénario. Il m'avait dit qu'il l'aimait bien mais il ne pouvait tout comprendre, quoiqu'il fût un enfant en avance pour son âge. Il souhaitait simplement que je tourne ce film.

- MICHEL DRUCKER : Pourquoi avez-vous eu envie de jouer avec Jacques Rouffio ?
-ROMY SCHNEIDER: Parce que j'ai adoré tous ses films. Lors du tournage du "Trio infernal", je l'avais rencontré deux ou trois fois, brièvement. Pourtant, j'ai senti un vrai contact entre lui et moi. Cet homme m'avait plu. Ce qu'il disait et la façon dont il parlait, tout me convenait. C'est assez rare. J'avais envie de travailler avec lui depuis longtemps. Plus tard. Jacques et sa famille sont devenus des amis. Je peux les appeler, aller les voir, parler de tout.

- MICHEL DRUCKER : Au début du tournage, votre malheur était encore tout proche. Pensez-vous que Rouffio se soit davantage senti concerné ?
- ROMY SCHNEIDER : Il a été merveilleux de compréhension. Il devinait quand c'était trop douloureux pour moi. Il savait me dire les mots qu'il fallait. C'est un être qui a du respect pour les acteurs. Il les aime. Il est le premier qui m'ait dit: "Ce ne doit pas être drôle tous lesjours d'exercer le métier de comédien." Cela m'a frappée. Jamais un metteur en scène ne me l'avait dit.

- MICHEL DRUCKER : Bien des comédiennes m'ont confié qu'elles ne pourraient pas mener à bien leur carrière toutes seules. Elles avouent avoir besoin, à leur côté, d'un homme qui ne soit pas acteur, mais dont la présence constante leur remonte le moral et les rassure.
- ROMY SCHNEIDER : C'est en partie vrai. J'ai été comme ça. Mais ce n'est plus le cas. Parce que j'ai mûri et j'ai compris combien il était pénible, pour ces personnes toujours dans l'ombre, de devoir nous rassurer et que l'on tourmente avec nos saute d'humeurs. On n'a pas le droit d'exiger de ces êtres tout proches de vous qu'ils vous aident à porter votre fardeau. Je suis consciente d'être une personne invivable et exaspérante. Maintenant, je refuse qu'on soit là pour me rassurer, m'aider dans mes moments d'angoisse, de trac, d'hystérie. Maintenant, je respecte davantage les autres.

- MICHEL DRUCKER : David venait-il avec vous sur les plateaux?
- ROMY SCHNEIDER : Oui, souvent. Depuis le drame, il me reste Sarah qui a 4 ans et demie. Elle est trop petite pour que je l'emmène au studio.

- MICHEL DRUCKER: Pourquoi habitez-vous à l'hôtel en ce moment ?
- ROMY SCHNEIDER : Parce que je ne peux plus vivre dans un décor qui me rappelle trop de souvenirs où il y a mon fils et qui furent heureux. Je suis à la recherche d'une maison pour recommencer ma vie et essayer de surmonter mon chagrin.

- MICHEL DRUCKER : Est-ce un chagrin que l'on peut oublier ?
- ROMY SCHNEIDER : C'est un chagrin que je ne veux jamais oublier.

- MICHEL DRUCKER : Avez-vous peur de vieillir?
- ROMY SCHNEIDER : Non. Mais ce n'est pas un problème propre aux femmes. Savez-vous quelle a été ma réaction à la suite de cette fameuse journée des femmes ? Je me suis dit que j'allais organiser la journée des hommes. Car que pensent toutes ces femmes ? Que les hommes n'ont pas, eux aussi, des problèmes, des angoisses, pas de peur ? Pensent-elles qu'ils ne sont pas vulnérables ? Il y a des choses qui m'ont révoltée et que je considérais presque risibles. Moi, j'aime les hommes. Je ne puis vivre sans eux.

- MICHEL DRUCKER : Vous avez accepté de tenir des rôles de femmes âgées...
- ROMY SCHNEIDER : Oui. Pour moi, le rôle compte avant tout. Même celui d'une vieille femme. A moins qu'il s'agisse d'un rôle absolument invraisemblable pour moi.

- MICHEL DRUCKER : On s'habitue au succès. Que feriez-vous s'il devait s'arrêter ?
- ROMY SCHNEIDER : Je pense que si le succés s'arrêterait, je connaîtrais une immense solitude.

Paris Match. 11-06-1982

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